Ah que coucou !
Nous allons terminer l’explication de toutes les légendes concernant Maître Goupil au pays des Incas avant de continuer sur l’art de l’écriture égyptienne (qui arrivera quand je me mettrai devant mon scanner ;))…
Voyons donc si Maître Goupil est parvenu à se racheter une bonne conduite…
Dans une vallée de la cordillère vivait un homme très travailleur et courageux, appelé Juan. Il possédait de nombreux champs de cultures et des animaux domestiques parmi lesquels deux bœufs magnifiques qui lui étaient d’un grand secours et qu’il aimait bien.
Un jour qu’il peinait plus fort que d’habitude, il reçut la visite d’un tigre immense et redoutable.
- Comment va la besogne, mon brave, demanda le fauve d’une voix menaçante ?
- Très bien, merci, répondit le paysan en essayant de garder son calme. Il est vrai que le travail ne manque pas car l’époque des récoltes approche.
- Ecoute-moi. Je suis fatigué de manger des moutons et des chèvres à longueur d’année. L’un de tes bœufs me ferait plaisir, d’autant plus que j’aurais de quoi me rassasier pendant plusieurs jours. Donne-le moi sinon je me verrai obligé de te dévorer.
- Monsieur le tigre, répondit Juan, c’est avec joie que je vous offrirais l’un de mes bœufs. Mais attendez donc un peu car, en ce moment, j’en ai besoin pour mes travaux. Pourquoi ne reviendrez-vous pas un peu plus tard ?
Le tigre réfléchit puis répondit :
- J’accepte le marché que tu me proposes. Je saurai attendre. Mais ne t’avise pas de me tromper car tu sais ce qui t’arriverait. Je repasserai dans deux ou trois semaines.
- Très bien, monsieur le tigre. Je vous suis reconnaissant de votre compréhension et j’exécuterai vos ordres.
Le tigre s’éloigna puis revint en courant, et élevant la voix, déclara encore :
- Et surtout n’oublie pas ! Dans deux ou trois semaines je serai là ! Gare à toi si tu n’obéis pas !
L’homme travailleur ressentait une profonde tristesse. Il se creusait en vain la tête pour savoir comment il s’en sortirait lorsqu’il serait privé de ses bêtes. Que faire pour échapper au tigre ?
Il sursauta. Quelqu’un l’appelait du haut de la falaise.
- Monsieur Juan, monsieur Juan !
Juan leva la tête et aperçut un homme qui se tenait au bord du précipice et qui lui faisait des signes.
« Il s’agit sans doute d’un habitant de l’autre vallée ! » pensa-t-il.
- Voisin, venez, je vous en prie. J’ai absolument besoin de vous parler !
L’homme descendit la pente en courant.
- Comme vous êtes pâle, mon ami ! Que vous arrive-t-il ? Un malheur frapperait-il votre famille ?
- C’est le tigre, répondit Juan. Il vient de me rendre visite et a menacé de me tuer si je ne lui donnais pas l’un de mes bœufs. Or, que ferais-je sans ces bêtes qui me sont indispensables ?
- Ce n’est pas possible, déclara le voisin. Nous devons l’empêcher de s’emparer de vos animaux. Mais comment ?
- Oui, comment ?
Le voisin réfléchit et, tout à coup, un sourire apparut sur ses lèvres.
- J’ai trouvé. Ecoutez-moi bien, monsieur Juan. Lorsque le tigre reviendra, je serai au bord de la falaise, le fusil sur l’épaule. Ayez confiance, et nous gagnerons la partie.
- Excellente idée, s’écria l’homme travailleur ! le tigre arrivera certainement en fin de matinée et je tâcherai de la distraire jusqu’à ce que je vous aperçoive. Après…
- Exactement. C’est le plan à suivre. Mais n’oubliez pas que je dois manger, moi aussi. Etant donné que je sauve la vie de vos bœufs, je vous serais gré de m’offrir un ou deux de vos moutons, ce qui me permettra de préparer un bon repas. Evidemment je m’en voudrais d’insister…
- Comment donc, voisin, bien au contraire ! Vous me rendez un fichu service. Vous pouvez compter sur moi !
- Merci, monsieur Juan. A bientôt ! Et pensez à moi !
- Soyez sans crainte, voisin, j’y penserai ! Je vous réserverai deux de mes moutons les plus gras !
Trois semaines passèrent. L’homme travailleur ne demeura pas inactif. Et le jour fatal arriva. Il était juste midi quand le tigre apparut sur le chemin. Il avait une faim terrible et manifesta le désir de se mettre aussitôt à table.
- Encore un petit moment de patience, cria Juan. J’ai besoin de mes bœufs pour terminer ma besogne.
- Faites vite, car mon appétit me rend malade !
L’homme travailleur ne quittait pas la falaise des yeux dans l’espoir d’y découvrir son voisin.
Personne ! Les minutes s’écoulaient, angoissantes. Il faisait une chaleur torride. Le tigre, qui craignait le soleil, s’était réfugié sous un arbre.
- Ce que j’ai faim, ce que j’ai faim, ne cessait-il de murmurer. Dépêchez-vous donc, paysan !
Juan eut de la peine à étouffer un cri de triomphe. Son voisin se tenait au sommet de la falaise, armé d’un long fusil.
- Monsieur Juan, appela ce dernier ?
- Que voulez-vous, répondit l’homme travailleur.
- Avez-vous vu le tigre ? On m’a dit qu’il rôdait dans ces parages.
- Ne le dîtes pas que je suis ici, cria le tigre qui avait peur du chasseur.
- Non, je ne l’ai pas vu, assura l’homme travailleur.
- Qu’y a-t-il sous cet arbre ? Je distingue de curieuses taches jaunâtres !
- Dîtes-lui que ce sont des pommes de terre, déclara le tigre en s’adressant à Juan.
- Ce sont des pommes de terre, répliqua le paysan.
Et, joignant le geste à la parole, il pria le fauve d’entre dans un sac.
Le tigre ne se fit pas prier car il avait hâte d’échapper au chasseur. Mais Juan ne lui donna pas le temps de se réjouir et le tua d’un grand coup de pioche.
Le voisin qui n’avait rien perdu de la scène, rejoignit l’homme travailleur !
- Monsieur Juan, je vous félicite. Vous n’avez pas perdu votre sang-froid. Vous êtes un homme admirable !
- Non, en réalité, je n’ai rien fait. C’est vous qui êtes venu juste à temps pour me sauver du danger qui me menaçait.
Tout en prononçant ces mots, le paysan se rendit compte que son voisin n’était rien d’autre qu’un renard qui s’était déguisé en homme. Il n’eut alors aucune envie de sacrifier deux de ses plus beaux moutons pour cet animal dont on disait tant de mal dans la contrée et qui, à plus d’une reprise, avait décimé son troupeau. Ayant soin de cacher son trouble, il continua :
- Voisin, les deux moutons que je vous ai promis sont à votre disposition. Venez les chercher en fin d’après-midi car j’ai perdu beaucoup de temps avec le tigre et je tiens à terminer ma besogne avant la nuit.
Le renard, quoique mourant de faim, mais désireux de conserver l’anonymat, dit :
- Entendu, je viendrai un peu plus tard.
Il retourna dans son terrier et se présenta à l’heure du crépuscule. Juan se tenait devant la porte de son logis. A côté de lui se trouvait un grand sac.
- Voisin, voici vos deux moutons. Ils sont à vous mais prenez garde car ce sont des bêtes féroces et d’une force peu commune.
- Ah ! merci, merci de tout cœur, monsieur Juan.
Le renard, qui n’en croyait pas ses yeux, ouvrit le sac pour s’assurer que le paysan ne l’avait pas trompé. Deux énormes chiens se jetèrent sur lui et se mirent à le dévorer.
Ainsi se termine l’histoire de l’homme travailleur, du tigre et du renard déguisé en voisin.
Cette légende nous montre déjà que les Espagnols étaient bien installés dans la Cordillère des Andes pour qu’un Amérindien ait adopté un prénom hispanique en abandonnant les prénoms usuels. De plus, les animaux connus des amérindiens prennent le nom de ceux que les Espagnols connaissent (ici le tigre qui remplace le puma ou le jaguar des légendes anciennes). C’est pour cela que j’ai l’impression aussi que cette légende a été adapté à la situation à partir d’une autre, plus ancienne, qui nous expliquerait cette image du tigre… était-ce un si grand ennemi du peuple inca qu’ils ont fini par vaincre grâce à une alliance avec une de leurs tribus ennemies ? ou un des ennemis des espagnols qui voulait sa part de gâteau de ce nouveau continent ? j’ignore si nous pourrions le savoir un jour : il faudrait retrouver la légende initiale…
Quoi qu’il en soit, dans cette légende, l’allié se trouve être les Conquistadors avec leurs fusils et encore une fois, elle révèle que les Conquistadors ont tenté d’abuser les indiens et que ceux-ci, intelligents, s’en sont aperçu et ont agi de telle façon que renard n’a pas eu sa récompense ;)… A quoi cela peut-il être relié dans l’histoire de la conquête de l’Amérique du Sud ? peut-être la période du soulèvement des indiens suite aux massacres perpétués par les conquérants… et ce paysan travailleur pourrait être le fils de Huyana Capac : Manco qui a dirigé ce soulèvement, mais qui pour finir, fut moins chanceux et ce fut Goupil qui fut le vainqueur… cette légende vient peut-être de cette période.
Une dernière pour aujourd’hui et nous n’aurons pas encore terminé les légendes indiennes consacrées à Goupil… il en restera encore une que nous verrons demain, sinon centerblog va sévir et couper L…
Deux Argentins qui se consacraient à la vente du bétail cherchaient un employé car ils étaient surchargés de travail.
Ils rencontrèrent un jeune renard qui chômait et l’engagèrent. Mais l’animal avait un appétit insatiable et coûtait cher à ses employeurs. Ceux-ci décidèrent de se débarrasser de leur collaborateur.
Un soir qu’ils campaient en pleine cordillère, ils l’envoyèrent chercher du bois sec pour le foyer.
- Tu trouveras tout ce que tu veux sur la lune, lui dirent-ils. Un de nos amis vit là-bas et te recevra le mieux du monde.
Le renard, qui n’avait pas encore beaucoup d’expérience, se mit en marche mais il n’arriva pas à atteindre la lune et revint bredouille au campement où les deux Argentins dormaient déjà. Il dut se coucher sans avoir mangé.
Le lendemain soir, la même scène se répéta et le renard s’aventura plus loin que la veille. Mais il regagna la tente désespéré, n’ayant pas pu mettre les pattes sur la surface de la lune. En rentrant, il croisa un lion. Le fauve venait de passer devant le campement des deux Argentins au moment où ces derniers étaient en train de préparer un succulent repas et riaient de la naïveté du renard.
Le lion répéta mot pour mot ce qu’il avait entendu et le renardeau décida de prendre sa revanche. Il se déguisa en lion et s’approcha du campement en rugissant. Les deux Argentins, pris de panique, abandonnèrent au fauve la nourriture qu’ils avaient disposée dans leurs plats, préférant rester l’estomac vide plutôt que de perdre la vie.
Puis le renard disparut, ôta son déguisement et revint vers ses employeurs en disant qu’il avait aperçu les lumières d’un village où l’on trouverait certainement de quoi se ravitailler.
Les deux Argentins n’étaient pas très d’accord car ils ne se sentaient pas la force de continuer leur chemin. Mais le renard, ne faisant mine de rien, leur dit :
- Vous avez attendu deux jours sans manger. Pourquoi ne patientez-vous pas encore un peu ?
Ils arrivèrent au hameau, entrèrent dans une auberge et commandèrent un véritable banquet.
Les deux Argentins, qui avaient bu davantage que de coutume, se mirent à parler abondamment et à railler leur collaborateur qui courait par monts et par vaux en quête de la lune alors que ses patrons mangeaient tranquillement sous leur tente.
A son tour, le renard se moqua des commerçants qui s’étaient laissés prendre au piège et qui ne l’avaient pas reconnu. Puis, aidé des chiens du village, il se jeta sur les deux hommes qui furent rapidement massacrés. Les animaux se partagèrent ensuite l’argent et le bétail des infortunés voyageurs.
Là, il n’y a pas à dire, c’est dit clairement que les Conquistadors (dont les indiens se sont aperçus qu’ils n’étaient en réalité que des mercenaires à la solde des plus riches) se vengent violemment quand ils s’aperçoivent qu’on se moque d’eux. Les nouveaux arrivés Conquistadors (ce renard qui manque d’expérience) se sont donc aperçus (grâce à la délation du lion qui représentent les interprètes-espions car le lion leur a répété mot pour mot ce que les commerçants avaient dit) que les Amérindiens se moquaient d’eux… ah ! Bon !... c’était fatal. Cela devait arriver un jour… et se sont vengés en massacrant les plus puissants de la population. Bon, il faudrait un peu plus de connaissances historiques sur cette période pour pouvoir relier cette légende à un fait précis. Et encore, les Espagnols ont-ils retranscrit ce fait dans leurs annales ? ou ont-ils préféré la passer sous silence ? car il s’agit là, quand-même, d’un crime qui pourrait être qualifié de lèse-majesté (renard, aidé par les chiens, a massacré ses employeurs, après les avoir dupés et volés). Mais je pense qu’il s’agit là encore de la période tout de suite après laquelle les Indiens s’étaient révoltés contre les Espagnols (renard est sorti vainqueur)…
Demain nous aborderons la dernière aventure de Goupil dans le pays de l’Inca, traduite et retranscrite par Jean-Christian Spahni dans son ouvrage Les Indiens dans la Cordillère des Andes.
Bisous,
@+
Sab