Ah que coucou !
Après les différents écrits en prose que j’ai posté la dernière fois (pour accéder au billet ainsi qu’à l’ouvrage, cliquez ici), je vous propose aujourd’hui ce regroupement de poésies – classées par ordre chronologique – de ce célèbre poète français qu’était Arthur Rimbaud.
Poésies
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parmi lesquelles, comme vous l’indique la liste des poésies ci-dessous, ne regroupent pas les poèmes d’une Saison en Enfer et les Illuminations.
Les Etrennes des Orphelins – Sensation -Le Forgeron - Soleil et Chair – Ophélie - Bal des pendus - Le Châtiment de Tartuffe - Vénus Anadyomène - Première soirée - Les Réparties de Nina - A la Musique - Morts de quatre-vingt douze - Les Effarés – Roman - Le Mal - Rage de Césars - Rêvé pour l’Hiver - Le Dormeur du Val - Au Cabaret-Vert - La Maline - L’Eclatante Victoire de Sarrebruck - Le Buffet - Ma Bohème - Tête de Faune - Les Assis - Les Douaniers - Oraison du soir - -Le Cœur volé - Chant de guerre parisien - Mes Petites Amoureuses – Accroupissements - Les Poètes de sept ans - Les Pauvres à l’Eglise - L’Orgie parisienne ou Paris se repeuple - Les Mains de Jeanne-Marie - Les Sœurs de Charité - Les Chercheuses de Poux - Les Premières Communions - L’Homme juste - Ce qu’on dit au Poète à propos de Fleurs - Le Bateau ivre
Album Zutique
L’Idole – Lys - Les Lèvres closes - Fête galante - J’occupais un wagon de troisième : un vieux prêtre - Je préfère sans doute, au printemps, la guinguette - L’Humanité chaussait –Conneries (Jeune Goinfre – Paris - Cocher ivre) - Vieux de la Vieille - Etat de siège ? - Le Balai – Exil - L’Angelot maudit - Les soirs d’été, sous l’œil ardent des devantures - Aux livres de chevet, livres de l’art serein -Hypotyposes saturniennes - Les Remembrances du Vieillard idiot - Ressouvenir
L’Enfant qui ramassa les balles, le Pubère -Les Corbeaux – Mémoire - Michel et Christine – Larme - La Rivière de Cassis - Comédie de la Soif - Bonne Pensée du Matin - Fêtes de la patience (Bannière de mai - Chanson de la plus haute Tour - L’Eternité - Age d’or) - Jeune Ménage – Bruxelles - Est-elle almée ? -Fêtes de la Faim - O Saisons, ô Châteaux –Honte - Qu’est-ce pour nous, mon cœur
Et comme promis, voici comment Paul Claudel présente Arthur Rimbaud, qui sert de préface aux œuvres complètes :
Arthur Rimbaud fut un mystique à l’état sauvage, une source perdue qui ressort d’un sol saturé. Sa vie, un malentendu, la tentative en vain par la fuite d’échapper à cette voix qui le sollicite et le relance, et qu’il ne veut pas reconnaître : jusqu’à ce qu’enfin, réduit, la jambe tranchée, sur ce lit d’hôpital à Marseille, il sache !
« Le bonheur ! Sa dent, douce à la mort, m’avertissait au chant du coq – ad matutinum, au Christus venit -, dans les plus sombres villes ». – « Nous ne sommes pas au monde ! » - « Par l’esprit on va à Dieu !... C’est cette minute d’éveil qui m’a donné la vision de la pureté… Si j’étais bien éveillé à partir de cette minute-ci… » (et tout le passage célèbre de la Saison en Enfer)… « Déchirante infortune ! »
Comparez, entre maints textes, cette référence, que j’ose emprunter à sainte Chantal (citée par l’abbé Bremond) :
« Au point du jour, Dieu m’a fait goûter presque imperceptiblement une petite lumière en la très haute suprême pointe de mon esprit. Tout le reste de mon âme et ses facultés n’en ont point joui : mais elle n’a duré environ qu’un demi-Ave Maria. »
Arthur Rimbaud apparaît en 1870, à l’un des moments les plus tristes de notre histoire, en pleine déroute, en pleine guerre civile, en pleine déconfiture matérielle et morale, en pleine stupeur positiviste. Il se lève tout à coup – « comme Jeanne d’Arc ! » s’écriera-t-il plus tard lamentablement. Il faut lire dans le livre de Paterne Berrichon (Jean-Arthur Rimbaud, le Poète) le récit tragique de cette vocation. Mais ce n’est pas une parole qu’il a entendue. Est-ce une voix ? Moins encore : une simple inflexion, mais qui suffit à lui rendre désormais impossible le repos et « la camaraderie des femmes ». Est-il donc si téméraire de penser que c’est une volonté supérieure qui le suscite ? dans la main de qui nous sommes tous : muette et qui a choisi de se taire. Est-ce un fait commun de voir un enfant de seize ans doué de facultés d’expression d’un homme de génie ? Aussi rare que cette louange de Dieu dans la bouche d’un nouveau-né dont nous parlent les récits indubitables. Et quel nom donner à un si étrange évènement ?
« Je vécus, étincelle d’or, de la lumière nature ! De joie, je prenais une expression bouffonne et égarée au possible ». un ou deux fois, la note, d’une pureté édénique, d’une douceur infinie, d’une déchirante tristesse, se fait entendre aux oreilles d’un monde abject et abruti, dans le fracas d’une littérature grossière. Et cela suffit. « J’ai brassé mon sang. Mon devoir m’est remis ». Il a fini de parler. On ne confie pas de secrets à un cœur descellé. Il ne lui reste plus qu’à se taire et à écouter, sachant, comme cette sainte encore, que « les pensées ne mûrissent pas d’être dites ». il regarde avec une ardente et profonde curiosité, avec une mystérieuse sympathie qui ne peut plus être exprimée « en paroles païennes », ces choses qui nous entourent et qu’il sait que nous ne voyons qu’en reflets et en énigmes : « un certain commencement », une amorce. Toute la vie n’est pas de trop pour faire la conquête spirituelle de cet univers ouvert par les explorateurs du siècle qui finit, pour épuiser la création, pour savoir quelque chose de ce qu’elle veut dire, pour donner de quelques mots enfin cette voix crucifiante au fond de lui-même.
Il nous reste quelques feuillets de son « carnet de damné » comme il l’appelle amèrement, quelques pages laissées par notre hôte d’un jour en ce lieu qu’il a définitivement vidé « pour ne pas voir quelqu’un d’aussi peu noble que nous ». Si courte qu’ait été la vie littéraire de Rimbaud, il est cependant possible d’y reconnaître trois périodes, trois manières.
La première est celle de la violence, du mâle tout pur, du génie aveugle qui se fait jour comme un jet de sang, comme un cri qu’on ne peut retenir en vers d’une force et d’une roideur inouïes :
Corps remagnétisé par les énormes peines,
Tu rebois donc la vie effroyable, tu sens
Sourdre le flux, des vers livides en tes veines !
(Paris se repeuple)
Mais, ô Femme, monceau d’entrailles, pitié douce !
‘Les Sœurs de Charité)
Qu’il est touchant d’assister à cette espèce de mue du génie et de voir éclater ces traits fulgurants parmi des espèces de jurons, de sanglots et de balbutiement !
La seconde période est celle du voyant. Dans une lettre du 15 mai 1871, avec une maladresse pathétique, et dans les quelques pages de la Saison en Enfer – intitulées « Alchimie du Verbe » - Rimbaud a essayé de nous faire comprendre « la méthode » de cet art nouveau qu’il inaugure et qui est vraiment une alchimie, une espèce de transmutation, une décantation spirituelle des éléments de ce monde. Dans ce besoin de s’évader qui ne le fâche qu’à la mort, dans ce désire « voir » qui tout enfant lui faisait écraser son œil avec son poing (Les poètes de sept ans), il y a bien autre chose que la vague nostalgie romantique. « La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde ». Ce n’est pas de fuir qu’il s’agit, mais de trouver « le lieu et la formule », « l’Eden » ; de reconquérir notre état primitif de « Fils du soleil ». – Le matin, quand l’homme et ses souvenirs ne sont pas réveillés en même temps, ou bien encore au cours d’une longue journée de marche sur les routes, entre l’âme et le corps assujetti à un desport rythmique se produit une solution de continuité ; une espèce d’hypnose « ouverte » s’établit, un état de réceptivité pure fort singulier. Le langage en nous prend une valeur moins d’expression que de signe ; les mots fortuits qui montent à la surface de l’esprit, le refrain, l’obsession d’une phrase continuelle forment une espèce d’incantation qui finit par coaguler la conscience, cependant que notre miroir intime est laissé, par rapport aux choses du dehors, dans un état de sensibilité presque matérielle. Leur ombre se projette directement sur notre imagination et vire sur son iridescence. Nous sommes mis en communication. C’est ce double état du marcheur que traduisent les Illuminations : d’une part les petits vers qui ressemblent à une ronde d’enfants et aux paroles d’un libretto, de l’autre les images désordonnées qui substituent à l’élaboration grammaticale, ainsi qu’à la logique extérieure, une espèce d’accouplement direct et métaphorique. « Je devins un opéra fabuleux ». Le poète trouve expression non plus en cherchant les mots, mais au contraire en se mettant dans un état de silence et en faisant passer sur lui la nature, les espèces sensibles « qui accrochent et tirent ». Le monde et lui-même se découvrent l’un par l’autre. Chez ce puissant imaginatif, le mot « Comme » disparaissant, l’hallucination s’installe et les deux termes de la métaphore lui paraissent presque avoir le même degré de réalité. « A chaque être plusieurs autres vies me semblaient dues. Ce monsieur ne sait ce qu’il fait, il est un ange. Cette famille est une nichée de chiens ». Pratiques extrêmes, espèce de mystiques « matérialiste », qui auraient pu égarer ce cerveau pourtant solide et raisonnable. Mais il s’agissait d’aller à l’esprit, d’arracher le masque à cette nature « absente », de posséder enfin le texte accessible à tous les sens, « la vérité dans une âme et un corps », un monde adapté à notre âme personnelle.
Troisième période. – J’ai déjà cité souvent la Saison en Enfer. Il me reste peu de chose à ajouter à l’analyse définitive que Paterne Berrichon a faite de ce livre si sombre, si amer, et en même temps pénétré d’une mystérieuse douceur. Là, Rimbaud, arrivé à la pleine maitrise de son art, va nous faire entendre cette prose merveilleuse tout imprégnée jusqu’en ses dernières fibres, comme le bois moelleux et sec d’un Stradivarius, par le son intelligible. Après Chateaubriand, après Maurice de Guérin, notre prose française, dont le travail en son histoire si pleine, et si différente de celle de notre poésie, n’a jamais connu d’interruption ni de lacune, a abouti à cela. Toutes les ressources de l’incidente, tout le concert des terminaisons, le plus riche et le plus subtil qu’aucune langue humaine puisse apprêter, sont enfin pleinement utilisés. Le principe de la « rime intérieure », de l’accord dominant, posé par Pascal, est développé avec une richesse de modulations et de résolutions incomparable. Qui une fois a subi l’ensorcellement de Rimbaud est aussi impuissant désormais à le conjurer que celui d’une phrase de Wagner. La marche de la pensée aussi qui procède non plus par développement logique, mais, comme chez un musicien, par dessins mélodiques et le rapport de notes juxtaposées, prêterait à d’importantes remarques.
Je pose la plume, et je revois ce pays qui fut le sien et que je viens de parcourir : la Meuse pure et noire, Mézières, la vieille forteresse coincée entre de dures collines, Charleville dans sa vallée pleine de fournaises et de tonnerres. (C’est là qu’il repose sous un blanc tombeau de petite fille). Puis cette région d’Ardenne, moissons maigres, un petit groupe de toits d’ardoise, et toujours à l’horizon la ligne légendaire des forêts. Pays de sources où l’eau limpide et captive de sa profondeur tourne lentement sur elle-même ; l’Aisne glauque encombrée de nénuphars et trois longs roseaux jaunes qui émergent du jae. Et puis cette gare de Voncq, ce funèbre canal à perte de vue bordé d’un double rang de peupliers : c’est là qu’un sombre soir, à son retour de Marseille, l’amputé attendit la voiture qui devait le ramener chez sa mère. Puis à Roche la grande maison de pierres corrodées avec sa haute toiture paysanne et la date : 1791, au-dessus de la porte, la chambre à grains où il écrivit son dernier livre, la cheminée ornée d’un grand crucifix où il brûla ses manuscrits, le lit où il a souffert. Et je manie des papiers jaunis, des dessins, des photographies, celle-ci entre autres si tragique où l’on voit Rimbaud tout noir comme un Nègre, la tête nue, les pieds nus, dans le costume de ces forçats qu’il admirait jadis, sur le bord d’un fleuve d’Ethiopie, des portraits à la mine de plomb et cette lettre enfin d’Isabelle Rimbaud qui raconte les derniers jours de son frère en l’hôpital de la Conception, à Marseille.
« … Il me regardait avec le ciel dans les yeux… Alors, il m’a dit : « Il faut tout préparer dans la chambre, tout ranger, le prêtre va revenir avec les sacrements. Tu vas voir, on va apporter les cierges et les dentelles, il faut mettre des linges blancs partout… » Eveillé il achève sa vie dans une sorte de rêve continuel : il dit à présent des choses bizarres très doucement, d’une voix qui m’enchanterait si elle ne me perçait le cœur. Ce qu’il dit, ce sont des rêves – pourtant ce n’est pas la même chose du tout que quand il avait la fièvre. On dirait et je crois qu’il le fait exprès. Comme il murmurait ces choses-là, la sœur me dit tout bas : « Il a donc encore perdu connaissance ? » Mais il a entendu et est devenu tout rouge ; il n’a plus rien dit, mais la sœur partie, il m’a dit : « On me croit fou, et toi, le crois-tu ? » Non, je ne le crois pas, c’est un être immatériel presque et sa pensée s’échappe malgré lui. Quelquefois, il demande aux médecins si eux voient les choses extraordinaires qu’il aperçoit, et il leur parle et leur raconte avec douceur, en termes que je ne saurais rendre, ses impressions : les médecins le regardent dans les yeux, ces beaux yeux qui n’ont jamais été si beaux et plus intelligents, et se disent entre eux : c’est singulier. Il y a, dans le cas d’Arthur, quelque chose qu’ils ne comprennent pas. Les médecins d’ailleurs ne viennent presque plus parce qu’il pleure souvent en leur parlant, et cela les bouleverse. il reconnaît tout le monde, moi il m’appelle parfois Djami, mais je sais que c’est parce qu’il le veut, et que cela rentre dans son rêve voulu ainsi ; d’ailleurs, il mêle tout et… avec art. Nous sommes au Harrar, nous partons toujours pour Aden, il faut chercher les chameaux, organiser la caravane ; il marche très facilement avec la nouvelle jambe articulée ; nous faisons quelques tours de promenade sur de beaux mulets richement harnachés ; puis il faut travailler, tenir les écritures, faire des lettres. Vite, vite, on nous attend, fermons les valises et partons. Pourquoi l’a-t-on laissé dormir ? Pourquoi ne l’aidé-je pas à s’habiller ? Que dira-t-on si nous n’arrivons pas aujourd’hui ? On ne le croira pas sur parole, on n’aura plus confiance en lui ! Et il se met à pleurer en regrettant ma maladresse et ma négligence, car je suis toujours avec lui et c’est moi qui suis chargée de faire tous les préparatifs… »
Je suis un de ceux qui l’ont cru sur parole, un de ceux qui ont eu confiance en lui.
Paul Claudel
Préface,
Arthur Rimbaud, Œuvres Complètes
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