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Bienvenue chez Sab
9 septembre 2012

15 septembre 1912 : Page 8 & Page 9

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« En effet, on me réveilla à cinq heures, et nous voilà roulant par la campagne de France, que je ne connaissais pas.

« Durant le voyage, Muddy et Paddy furent d’une gaîté folle.

« - Enfoncés, les requins ! disait Muddy.

« - S’ils attendent au Havre, ils ont le temps de faire le pied de grue ! répliquait Paddy.

« Je me demandais quels pouvaient bien être ces requins-là, mais je n’osai poser de questions.

« ‘Enfin, Muddy prononça :

« - On vient de passer Asnières, nous sommes arrivés !

« Paddy boucla la valise, qu’il avait déposée dans le filet, après y avoir serré une casquette de voyage, Muddy passa les manches de son grand ulster, et tous deux se tinrent debout, devant la portière, dans le couloir du wagon.

« Le train passa sous un long tunnel, puis ralentit sa marche ; bientôt il pénétra sous un grand hall et s’arrêta définitivement.

« Le premier, Paddy sauta sur le quai, puis Muddy, qui, lui, se retourna vers moi, sans doute pour m’aider à descendre.

« Mais alors, il se passa une chose vraiment extraordinaire.

« Deux messieurs se précipitèrent sur Muddy et Paddy, et avant qu’ils eussent eu le temps de faire un mouvement, ils leur passèrent une chaîne au poignet, et rapidement les entraînèrent.

« Cela avait été si rapide, si subit, si inattendu que je n’eus même pas la force de prononcer une parole, de jeter un cri, et, quand je revins de ma surprise, ce fut pour entendre, autour de moi, des gens qui disaient :

« - Ce sont deux Anglais, les voleurs de la South-West-Bank, que l’on vient d’arrêter !

« - Oui, fit un autre, des détectives les attendaient au Havre, mais ils sont arrivés par Dieppe, ou par ailleurs. Heureusement que leur signalement avait été téléphoné à la Sûreté !

« Alors, je compris, mais seulement, ce que Muddy et Paddy avaient voulu dire en parlant des requins.

« Cependant, nul ne faisait attention à moi : je pus m’éclipser au milieu de la foule ; toute la journée, j’ai erré dans Paris me demandant ce que j’allais faire, et ce soir, affamée, morte de fatigue et de je suis tombée sur ce banc où tu viens de me retrouver.

« Et voilà toute mon histoire, mon bon Mironton ! [Fin colonne 1]

 

 

 

CHAPITRE IV

 

Mironton avait écouté sans l’interrompre cet étrange et dramatique récit.

Puis, quand la fillette eut fini, il apprécia :

- Ben vrai, on peut dire que t’en as eu, des malheurs ! Mais, à présent, qu’est-ce que tu comptes faire ?

- Je ne sais pas ! répondit la fillette.

Puis, après une minute de réflexion, elle dit :

- J’avais pensé à retourner à Londres, chez Mrs Shad !

Mais Mironton secoua la tête :

- Faut pas ! décida-t-il gravement. Ecoute ! Tout de suite, ton Muddy et ton Paddy m’ont fait mauvaise impression, et je ne suis pas étonné qu’on les ait empoignés en arrivant à la gare

 

[place pour l’image]

 

Saint-Lazare. Il est de toute évidence que ces deux English-là voulaient t’entraîner dans quelque sale coup, et ils ne connaissaient pas non plus ton oncle Lolo que moi ; c’était de la frime ! Ta Mrs Shad, sûrement les connaissait, et elle devait être de mèche avec eux, tu comprends ! Alors, faut pas retourner chez cette femme !

- Oui, acquiesça Blanchette, tu as peut-être raison, puisque c’est miss Dorothea, la fille de Mrs Shad, qui m’a remis entre les mains de Muddy.

- Parbleu ! triompha Mironton. Il te resterait donc d’aller tout raconter au commissaire. Mais je ne te le conseille pas non plus. Vois-tu, ma fille, faut jamais mettre la police dans ses affaires, tant [Fin colonne 2]

 

qu’on n’y est pas forcé. Qu’est-ce qui t’arriverait si tu allais te mettre sous la protection du quart d’œil ? Il ferait une petite enquête, retrouverait ton oncle Camille, qui est ton tuteur, et te refourrerait dans ses pattes. Or, je ne sais pas, c’est une idée à moi, mais les micmacs de ton oncle Camille ne me paraissent pas francs du collier !

Pour toute réponse, Blanche Delatre poussa un gros soupir, et Mironton reprit :

- Vois-tu, ce qu’il faut, c’est retrouver ton oncle Lolo ; ce doit être un bon zigue, ton oncle Lolo ; je ne le connais pas, mais il me semble que je l’aime déjà ! S’il habite Paris, ce ne doit pas être difficile d’y mettre la main dessus. Comment c’est-il qui s’appelle, ton oncle Lolo !

- Il s’appelle mon oncle Lolo ! répondit Blanche.

- C’est pas un nom ça !

- Je ne lui en connais pas d’autre !

- C’est le frère de ta pauvre maman, n’est-ce pas ?

- Oui !

- Et comment qu’elle s’appelait ta maman ?

- Mme Delatre !

- Bien entendu ! Mais son nom de jeune fille !

Blanchette hocha la tête :

- Je ne sais pas ! fit-elle piteusement.

Du coup Mironton leva les bras au ciel :

- Si tu ne sais pas comment qu’il s’appelle, fit-il, ce sera plus durillon pour le trouver !

- Alors ?

Mironton s’était plongé dans ses réflexions :

- Alors, fit-il enfin, on y pensera, et c’est bien le diable, si on ne trouve pas un moyen ! J’ai toujours entendu dire que la nuit portait conseil, et voici justement que le jour se lève ! Il s’agit, pour l’instant d’aller gagner mon déjeuner, et le tien ! Quand je t’ai trouvée, sur ce banc, j’allais m’envoyer un bon coup de traversin, à l’auberge de la Belle Etoile, dont je suis un des plus assidus clients, sous le pont de la Concorde, où il y a toujours des sacs de plâtre, où c’est plus mou que sur la pierre. Mais il ne s’agit plus de dormir, pour moi du moins !

On va aller aux Halles, on mangera une bonne soupe, puis, tandis que j’irai à mon travail, je te trouverai un bon dodo, car tu tombes de fatigue, ma pauvre petite, et t’as rudement besoin de te remettre un peu de toutes les émotions !

Et, ce disant, il se leva, prit la petite par la main, et tous deux se dirigèrent vers la place de la Concorde.

Le jour se levait, en effet, et là-bas, par delà les arbres des Tuileries, on apercevait dans le ciel une grande raie lumineuse, d’un rose très pâle et les becs de gaz commençaient à clignoter dans la douce clarté de l’aurore. [Fin colonne 3]

 

 

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Descendant les Champs-Elysées, une file ininterrompue de charrettes chargées de choux, de carottes, de salades, de navets, se dirigeait vers les Halles d’un pas lent. Les conducteurs, pour la plupart, dormaient tout là-haut, dans la fraîcheur des légumes, et leur bête, à demi somnolente, suivait docilement la file, sans que leur maître eût à s’occuper d’elle.

Pourtant, conduisant une énorme voiture de choux, un homme, tout recouvert d’une immense limousine qui lui descendait jusqu’aux pieds, marchait à côté de son cheval tout en fumant une courte pipe.

Mironton le reconnut, et il le salua :

- Bonjour, Toine, vous n’êtes pas en avance ce matin ?

L’homme tourna la tête, et, souriant :

- Tiens, c’est toi Mironton ?

Et du manche de son fouet, désignant la fillette :

- T’as donc trouvé une compagne ?

- C’est ma petite sœur.

- Ah bah ! T’as donc de la famille ? Tu n’en avais jamais parlé, vieux camarade ?

- C’est qu’elle était à la campagne ! Je viens de la tirer de nourrice, assura Mironton.

- Et comment que tu l’appelles, ta sœur ?

- Parbleu, Mirontaine ! répondit Mironton en éclatant de rire.

Toine regarda la fillette, puis :

- Elle est bien pâlotte, ta petite sœur ! et puis, on dirait quasi qu’elle peut plus se traîner ! C’est-y aux Halles que tu te rends ?

- Comme tous les matins, Toine !

- Alors, hisse ta sœur sur la carriole, ça la reposera un peu, cette pauvre gosse !

- Ma foi, c’est pas de refus, Toine !

Et Mironton aida Blanchette à grimper sur la charrette, où, parmi les choux, il lui fit une façon de petit creux où elle pourrait se tenir sans danger ; puis il descendit et se mit à marcher à côté du maraîcher, tout en discourant de la pluie et du beau temps, qui ont une si grande importance pour un jardinier des environs de Paris.

Ce Toine était un brave garçon, à qui souvent, le matin, Mironton donnait un coup de main pour l’aider à décharger ses légumes sur le carreau des Halles ; Toine lui donnait quelques sous pour le payer de sa peine, et, il ne se passait pas un jour qu’il ne lui dit :

- Mironton, un de ces dimanches, faudra nous venir voir à Nanterre ; le père et la mère te recevront bien, car tu es un brave petit gas, et l’on tuera un lapin, en ton honneur !

Et Mironton promettait toujours. Mais les dimanches succédaient aux dimanches sans qu’il tînt sa promesse. Le pauvre Mironton n’avait guère le temps de se payer un pareil voyage, et puis, pour tout dire, la campagne lui faisait un peu peur.

Et, ce matin-là, le bon Toine ne manqua pas de renouveler son invitation :

[Fin colonne 1]

 

- De ce coup, mon gas, tu vas nous venir voir à Nanterre, cela fera du bien à ta sœur, une journée de bon air et de verdure !

- Pour sûr, promit Mironton, que je vous mènerai Mirontaine !

Mais ils arrivèrent aux Halles.

Pendant le trajet, la pauvre Blanchette, brisée de fatigue, s’était endormie parmi ses choux et on eut du mal à la réveiller.

- Pauvre goss ! murmura Mironton, va falloir que je la mène au dodo !

- Où ça ? demanda Toine, intrigué.

- Vous occupez pas de ça, Toine, je connais les bons endroits ! Espérez-moi seulement cinq minutes, et je m’en vais lui border sa couverture !

Blanchette avait les yeux tout barbouillés de sommeil et, automatiquement, elle suivit Mironton.

Il se dirigea ver le pavillon de la volaille, descendit un escalier et se trouva dans les sous-sols, tout encombrés de cages à poulet, où, déjà, une douzaine de jeunes femmes étaient toutes occupées à plumer des volailles, dont les plumes voltigeaient de droite et de gauche, couvrant leurs vêtements, s’agrippant à leurs cheveux, s’amoncelant en des coins, véritables montagnes de duvets.

- Holà ! Miroton, tu viens nous donner un coup de main ? demanda une des plumeuses.

- Pas ce matin, car il faut que j’aille aider Toine.

- Alors, tu nous amènes une aide ! ajouta la femme, en voyant la fillette que Mironton tenait par la main.

- Pas pour aujourd’hui. Ma petite sœur arrive de voyage et elle tombe de sommeil, comme vous le voyez, aussi, j’ai pensé que vous lui laisseriez piquer un petit coup de poinçon…

- Comment donc, est-ce que ça se refuse, ces [Fin colonne 2]

 

choses-là ! Arrange-là toi-même, car tu connais les bons endroits, brigand !

Mironton ne se le fit pas dire deux fois ; au fond de la salle, entre deux piles de cages vides, il amoncela un bon matelas de plumes et de duvets, y fit étendre Blanchette, puis, lui dit :

- Et tu sais, dors ton content… Je viendrai te réveiller, quand le moment sera venu !

Puis, ayant crié merci aux plumeuse de volailles, il s’en vint rejoindre Toine.

La fillette dormait déjà.

Mrionton était un courageux petit bonhomme qui ne boudait pas à l’ouvrage ; bravement il aida Toine à décharger sa voiture de choux ; tandis que Toine, huché sur la carriole lançait les choux sur la chaussée, Mironton, fort habilement les alignait sur le carreau, les montait en une muraille bien droite qui faisait plaisir à voir.

Quand ce fut fini, Toine dit au petit :

- Tu vas garder la marchandise, hein, pendant que je vais casser une croûte et boire un coup de vin ?

- Comme d’habitude ! répliqua Mironton.

Le jour se levait lentement, un jour sale et brumeux, prometteur de pluie ; autour des halles, c’était un bourdonnement de ruche en travail : chacun allait et venait, silencieux et affairé ; de grands haquets amenaient le poisson au pavillon des marées ; en sabots, couverts de tabliers tachés de sang, des garçons déchargeaient d’énormes quartiers de viande dans le pavillon de la boucherie ; les caisses et paniers de primeurs s’entassaient un peu partout, et de la rue du Louvre une forte odeur d’éther trahissait les tombereaux d’oranges que l’on déversait en vrac devant les magasins des commissionnaires et qui semblaient une coulée d’or roux ; maintenant, sur le carreau, on ne circulait plus qu’entre deux remparts de carottes, de choux, de salades, de navets et, sous la clarté pâle de l’aube, dans le brouillard, toute une activité régnait, tandis que là-bas, Paris dormait encore.

Comme le coup de cloche sonnait, indiquant que la vente en gros pouvait commencer, Toine revint relever Mironton de sa faction.

- Merci, mon vieux Mironton, lui fit-il avec une tape amicale, tu es un bon petit homme et tu sais, quand tu voudras venir à Nanterre, avec la petite sœur !

- C’est entendu ! fit Mironton, empochant la poignée de petite monnaie que Toine lui glissa dans la main.

Et il fila du côté de la pointe Saint- Eustache.

- Il ne s’agit pas de flâner, songea-t-il ; me voici chef de famille, j’ai gagné ma pitance, il s’agit d’aller gagner le déjeuner de Mirontaine, maintenant !

 

(A suivre.)

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