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Bienvenue chez Sab
31 mai 2012

A. Berquin: Le Compliment de la nouvelle année

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Ah que coucou!

 

Voici une courte histoire dont le héros n'est qu'un jeune petit garçon qui vient présenter ses voeux de bonne année à son père qui lui explique que les voeux sincères sont ceux qui viennent du coeur et non ceux qu'on nous dicte et/ou que nous répétons ;)

 

Bisous,

@+

Sab

 

ban

 

 

Le compliment de nouvelle année

Le premier jour de l’an, le petit Porphyre entra de bonne heure dans l’appartement de son papa, qui n’était pas encore levé. Il s’avança, en le saluant gravement, jusqu’à trois pas de son lit, et lui ayant fait encore une inclination respectueuse, il commença ainsi, en enflant sa voix : « Ainsi que les Romains s’adressaient autrefois des vœux de premier jour de l’année, ainsi, mon très honoré père, je viens… ah !... je viens… »

Ici le petit narrateur demeura court. Il eut beau frapper du pied, se gratter le front, fouiller dans toutes ses poches, le reste de sa harangue ne se trouvait point. Le pauvre malheureux se tourmentait et suait à grosses gouttes. M. de Vermont eut pitié de son embarras. Il lui fit signe d’approcher ; et l’ayant embrassé tendrement, il lui dit : « Voilà un fort beau discours, mon fils ; est-ce toi qui l’as composé ?

Porphyre. Non, mon papa, vous avez bien de la bonté ; je n’en sais pas encore assez pour cela : c’est mon frère qui est en rhétorique. Oh ! vous y auriez vu du ronflant ; c’est tout en périodes, à ce qu’il m’a dit. Tenez, je vais le repasser rien qu’une fois, et vous verrez. Voulez-vous toujours que je vous dise celui qui est pour maman ? il est tiré de l’histoire grecque.

M. de Vermont. Non, mon ami ; cela n’est pas nécessaire. Ta mère et moi, nous vous en savons le même gré, à toi et à ton frère.

Porphyre. Oh ! Il a bien été quinze jours à composer ce discours, et moi aussi longtemps à l’apprendre. C’est triste qu’il m’échappe précisément lorsqu’il fallait m’en souvenir. Hier encore, je le déclamais si bien à votre tête à perruque ! Je l’ai récité d’un bout à l’autre, sans manquer une fois. Si elle pouvait vous le dire ?

M. de Vermont. J’étais alors dans mon cabinet ; je t’ai bien entendu.

Porphyre. Vous m’avez entendu ? Ah ! mon papa, que je vous embrasse ! je le disais bien, n’est-ce pas ?

M. de Vermont. A merveille.

Porphyre. Oh ! c’est qu’il était beau !

M. de Vermont. Ton frère y a mis toute son éloquence. Cependant, je te le dis franchement, j’aurais mieux aimé deux mots seulement, pourvu qu’ils fussent partis de ton cœur.

Porphyre. Mais, mon papa, souhaiter tout uniment la bonne année, c’est bien sec !

M. de Vermont. Oui, si tu te bornais à me dire : « Mon papa, je vous souhaite une bonne année, accompagnée de plusieurs autres ». Mais, au lieu de ce compliment un peu trivial, ne pouvais-tu chercher en toi-même ce que je dois désirer le plus vivement dans cette année nouvelle ?

Porphyre. Ce n’est pas difficile, mon papa. C’est d’avoir une bonne santé ; de conserver votre famille, vos amis et votre fortune ; d’avoir beaucoup de plaisir et point de chagrin.

M. de Vermont. Et ne me souhaites-tu pas tout cela ?

Porphyre. O mon papa ! de tout mon cœur.

M. de Vermont. Eh bien ! voilà ton compliment tout fait. Tu vois que tu n’avais besoin de recourir à personne.

Porphyre. Je ne croyais pas être si savant. Mais c’est toujours comme cela. Quand vous m’instruisez, vous me faites trouver des choses que je n’aurais jamais cru savoir. Me voilà maintenant en état de faire des compliments à tout le monde. Je n’aurai qu’à leur adresser celui que je viens de vous faire.

M. de Vermont. Il peut en effet convenir à beaucoup de gens. Il y a cependant des différences à y mettre, suivant les personnes à qui tu parleras.

Porphyre. Je sens bien à peu près ce que vous voulez me dire ; mais je ne saurais le débrouiller tout seul. Expliquons cela à nous deux.

M. de Vermont. Très volontiers, mon ami. Il est biens en général qu’on peut souhaiter à tout le monde, comme ceux que tu me souhaitais tout à l’heure. Il en est d’autres qui ont rapport à la condition, à l’âge et aux devoirs de chacun. Par exemple, on peut souhaiter à une personne heureuse la durée de son bonheur ; à un malheureux, la fin de ses peines ; à un homme en place que Dieu veuille bénir ses projets pour le bien public, qu’il lui donne la force et le courage nécessaire pour les exécuter, qu’il lui en fasse recueillir la récompense dans la félicité de ses concitoyens. A un vieillard, on peut souhaiter une longue vie, exempte d’incommodités ; à des enfants, la bonne santé de leurs parents, des progrès rapides et soutenus dans leurs études, l’amour de la science et de la sagesse ; aux pères et aux mères, le succès de leurs espérances et de leurs soins pour l’éducation de leurs enfants ; toutes sortes de prospérités à nos bienfaiteurs, avec la continuation de leur bienveillance. On ne doit pas même oublier ses ennemis, et il faut adresser des vœux au ciel pour qu’il les fasse revenir de leur injustice, et qu’il leur inspire le désir de se réconcilier avec nous.

Porphyre. O mon papa, que je vous remercie ! me voilà riche en compliments pour toutes les personnes que je vais voir aujourd’hui. Soyez tranquille. Je saurai donner à chacun ce qui lui revient, sans avoir besoin des périodes de mon frère. Mais dites-moi, je vous prie, si on a ces vœux dans le cœur toute l’année, pourquoi la bouche les dit-elle de préférence le premier jour de l’an ?

M. de Vermont. C’est que notre vie est comme une échelle, dont chaque nouvelle année forme un échelon. Il est tout naturel que nos amis viennent se réjouir avec nous de ce que nous sommes parvenus à celui-ci, et nous marquent leur vif désir de nous voir monter les autres aussi heureusement. Comprends-tu ?

Porphyre. Fort bien, mon papa.

M. de Vermont. Je puis encore t’expliquer cela par une autre comparaison.

Porphyre. Ah ! voyons, je vous prie.

M. de Vermont. Te souviens-tu du jour où nous allâmes visiter Notre-Dame ?

Porphyre. O mon papa ! quelle belle perspective on a du haut des tours ! on découvre toute la campagne des environs.

M. de Vermont. Saint-Cloud s’offrit à notre vue ; et comme tes yeux ne sont pas encore fort exercés à mesurer les distances, tu me proposas d’y aller diner à pied.

Porphyre. Eh bien ! mon papa, est-ce que je ne fis pas gaillardement le chemin ?

M. de Vermont. Pas mal. Je fus assez content de tes jambes. Mais c’est que j’eus la précaution de te faire asseoir à chaque kilomètre.

Porphyre. Il est vrai. Ce n’est pas mal imaginé, au moins, d’avoir mis des bornes chiffrées sur la route. On voit tout de suite combien on a marché, combien il faut marcher encore, et l’on s’arrange en conséquence.

M. de Vermont. Tu viens d’expliquer toi-même les avantages de la division du temps en portions égales, qu’on appelle années. Chaque année est comme un kilomètre dans la carrière de la vie.

Porphyre. Ah ! j’entends. Et les saisons sont peut-être les quarts de kilomètres et les demi-kilomètres, qui nous annoncent qu’un nouveau kilomètre va bientôt venir.

M. de Vermont. Fort bien, mon fils ; ton observation est très juste. Je suis charmé que ce petit voyage soit encore présent à ta mémoire. Il peut t’offrir, si tu sais considérer, le tableau parfait de la vie humaine. Cherche à t’en rappeler toutes les circonstances, et j’en ferai l’application.

Porphyre. Je m’en souviendrai toujours. D’abord, comme je me sentais ingambe, et que j’étais glorieux de vous le montrer, je voulus aller très vite, et je faisais je ne sais combien de faux pas. Vous me conseillâtes d’aller plus doucement, parce que la route était longue. Je suivis votre conseil : je n’eus pas à m’en repentir. Chemin faisant, je vous questionnai sur tout ce que je voyais, et vous aviez la bonté de m’instruire. Quand il se présentait un banc de pierre ou une pièce de gazon, nous allions nous y asseoir, pour lire dans un livre que vous aviez apporté. Puis nous reprenions notre marche, et vous m’appreniez encore beaucoup d’autres choses utiles et agréables. Je me souviens aussi que je fis, tout en marchant, les quatre vers latins que mon précepteur m’avait donnés pour devoir. De cette manière, quoique le temps ne fût pas toujours beau ce jour-là, quoique nous eussions quelquefois de la pluie et même de l’orage à essuyer, nous arrivâmes frais et gaillards, sans avoir ressenti de fatigue ni d’ennui : et le bon repas que nous fîmes en arrivant acheva de remplir heureusement cette journée.

M. de Vermont. Voilà un récit très fidèle de notre expédition, excepté dans quelques circonstances, que je te sais pourtant gré d’avoir omises, telles que cette attention si touchante d’aller prendre un pauvre aveugle par la main pour l’empêcher de se casser les jambes contre un monceau de pierres sur lequel il allait tomber ; les secours que tu prêtas au petit blanchisseur pour ramasser un paquet de linge qui était tombé de sa charrette ; les aumônes que tu fis aux pauvres que tu rencontrais.

Porphyre. Eh ! mon papa, croyez-vous que je l’eusse oublié ! Mais je sais qu’il ne faut pas se vanter des bonnes œuvres qu’on peut avoir faites.

M. de Vermont. Aussi je me plais à te les rappeler pour récompenser ta modestie. Il est juste que je te rende une partie du plaisir que tu me fis goûter.

Porphyre. Oh ! je vis bien deux ou trois fois des larmes rouler dans vos yeux. J’étais si content ! Si vous saviez combien cela me délassait ! j’en marchais bien plus lestement ensuite. Mais venons à l’application que vous m’avez promise.

M. de Vermont. La voici, mon ami. Prête-moi toute l’attention dont tu es capable.

Porphyre. Oui, mon cher papa.

M. de Vermont. Le coup d’œil que tu jetas du haut des tours sur tout le paysage qui t’environnait, c’est la première réflexion d’un enfant sur la société qui l’entoure. La promenade que tu choisis, c’est la carrière que l’on se propose de suivre. L’ardeur avec laquelle tu voulais courir, sans consulter tes forces, et qui te fit faire tant de faux pas, c’est l’impétuosité naturelle à la jeunesse, qui l’emporterait à des excès dangereux si un ami sage et expérimenté ne savait la modérer. Les connaissances agréables que tu recueillis le long du chemin dans nos entretiens et dans nos lectures, ton devoir que tu eus encore le temps de faire, les actes de bienfaisance et de charité que tu exerças t’adoucirent la fatigue de la route, t’en abrégèrent la longueur, et te la firent parcourir gaiement, malgré la pluie et l’orage. Il n’est pas d’autres moyens dans la vie, pour en bannir l’ennui, pour y conserver la paix du cœur avec la satisfaction de soi-même, pour se distraire des chagrins et des revers qui pourraient nous accabler. Enfin, notre bon repas au bout de la promenade n’est qu’une faible image de la récompense que Dieu nous réserve à la fin de nos jours pour les bonnes actions dont nous les aurons remplis.

Porphyre. Oui, mon papa, je comprends très bien. Oh ! quel bonheur je vois pour moi dans l’année que nous commençons aujourd’hui !

M. de Vermont. C’est de toi seul qu’il dépend de la rendre heureuse. Mais revenons à notre voyage. Te souviens-tu, lorsque nous arrivâmes à cet endroit que l’on nomme le Point-du-Jour ? Le ciel était serein dans ce moment, et nous pouvions voir derrière nous tout l’espace que nous avions parcouru.

Porphyre. Oh ! oui. J’étais fier d’avoir si bien marché.

M. de Vermont. Le serais-tu de même aujourd’hui que la raison commence à t’éclairer, en portant un regard sur le chemin que tu as fait jusqu’ici dans la vie ? Tu y es entré faible et nu, sans aucun moyen de pourvoir à tes besoins et à ta subsistance. C’est ta mère qui t’a donné les premiers aliments. C’est moi qui ai soutenu tes premiers pas. Que t’avons-nous demandé pour le prix de nos soins ? rien, que de travailler toi-même à ton propre bonheur, en devant juste et honnête, en t’instruisant de tes devoirs, et en prenant le goût à t’en acquitter. Ces conditions, toutes avantageuses pour toi, les as-tu remplies ? As-tu été reconnaissant envers Dieu, pour t’avoir fait naître au sein de l’aisance et de l’honneur ? As-tu montré à tes parents toute la tendresse, toute la soumission que tu leur dois ? As-tu bien profité des instructions de tes maîtres ? Ton frère et tes sœurs n’ont-ils jamais eu à se plaindre de quelque mouvement d’envie ou d’injustice de ta part ? As-tu traité les domestiques avec douceur ? N’as-tu pas abusé de leur complaisance ? L’esprit d’ordre et de justice, l’égalité de caractère, la franchise, la patience et la modération que nous cherchons à t’inspirer par nos leçons et par nos exemples, les as-tu ?...

Porphyre. Ah ! mon papa, ne regardons pas tant le passé. J’aime mieux porter ma vue sur l’avenir. Tout ce que j’aurais dû faire, oui, je vous le promets, je le ferai.

M. de Vermont. Embrasse-moi, mon fils : j’accepte ta promesse, et j’y renferme tous les vœux que je forme, à mon tour, pour toi, dans ce renouvellement de l’année. »

 

Moralité . Toutes les heures d’un voyage sont comptées et ont leur destination : qu’on en intervertisse l’ordre, ou qu’on les emploie autrement, le voyage est retardé, et quelquefois il devient malheureux. C’est l’image de la vie. Rien de plus difficile que d’en bien user. Heureux qui marque ses jours par des actions louables ! il arrive tranquillement à une douce mort, et s’endort dans le sein de Dieu, but suprême du grand voyage !

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