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Bienvenue chez Sab
30 mai 2012

Occupation allemande vue par un enfant (8 à 12 ans)…

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Mon père (9.4.1932 – 30.1.1986)

 

Ah que coucou !

 

Tous les mardis soirs, pendant que ma mère était aux répétitions de la chorale, nous avions l’habitude, mon père et moi, de nous installer dans le salon et de discuter généalogie proche et dans la limite de mon adolescence et de ses connaissances, c’est-à-dire que cela se transformait souvent en « Sab questionne et Papa donne toutes les réponses » ;)…

 

Pendant ces longues soirées qui se terminaient toujours par un « ta mère va bientôt rentrer et va nous disputer si elle te voit debout encore à cette heure alors, au lit ! » j’ai questionné mon père sur son enfance, et plus spécialement sur la période de l’Occupation. Aujourd’hui je vais vous résumer ce que mon père m’avait raconté. Hélas, sa mort prématurée, m’a empêché de pouvoir dater les différents souvenirs : mon père me les narrant au fils de ses souvenirs et non chronologiquement…

 

Malgré tout, il y en a un facile à dater, la réquisition du garage, voisin de mes grands-parents paternels, pour l’entreposage et l’entretien des véhicules de l’armée allemande… Facile à dater, facile à dire, car je ne connais pas la date exacte, par contre, je sais qu’il s’agissait là de la première rencontre entre mon père et la Wehrmacht… avant ce jour, il ignorait à quoi des soldats allemands pouvaient ressembler. Certes, il en avait entendu parler et on l’avait maintes fois averti que s’il en rencontrait il fallait qu’il court vite ou qu’il se cache pour éviter qu’ils ne l’attrapent et lui fassent du mal, mais jamais il n’en avait vu jusque là…

 

Les premiers mois de l’Occupation mon père ne s’est jamais approché d’eux tout en les regardant du coin de l’œil pour savoir ce qu’ils pouvaient bien faire là avec leurs grosses tartines de pain sur lesquelles ils étalaient une grosse épaisseur de rillette ou sur laquelle étaient posés différents saucissons qui faisaient envie un petit garçon…

 

La glace fut brisée un certain après-midi d’hiver lors d’une bataille de boules de neige endiablée…

Après l’école, une partie des enfants du quartier restait à jouer dans la rue et, avec toute cette neige, avait commencé une partie de boules de neige. Quand soudain, accidentellement, une des boules arriva sur la tête du chef de la patrouille allemande qui passait par là… A ce moment-là, le silence se mit à régner et on n’entendait plus un rire, plus un cri. Le temps se figea jusqu’à ce que le chef de patrouille la fasse manœuvrer pour qu’elle fasse face aux enfants et mon père, fermant les yeux, entendit un « Feuer ! » et fut parmi les premiers à recevoir une décharge de boules de neige… Les enfants, ainsi attaqués, se remirent vite de leur peur et se défendirent avec férocité et héroïsme face aux boules de neige des envahisseurs… et les rires purent reprendre de plus belle…

 

Depuis ce jour, le soldat allemand avait un autre visage pour tous les enfants du quartier et de « méchants » ils sont passés à « copains de jeu » et ceci malgré que les mamans tentaient d’y mettre fin sans succès…

 

C’est là que mon père m’apprit, nous ignorons si cela est lié, que le quartier, malgré la présence de matériel de guerre de l’armée allemande, était un véritable havre de paix même s’il y avait quelques apparitions spasmodiques de la Gestapo et de la milice, que les soldats n’appréciaient pas du tout (un jour, un soldat a conseillé à mon père de ne jamais s’approcher de ces fourbes miliciens, qui ne cherchent qu’à profiter de la situation)…

 

Avant la guerre mon père avait l’habitude de trainer toujours dans les pattes de son père et de souvent l’accompagner quand le calendrier scolaire le permettait. A cause de l’Occupation, son père étant de moins en moins disponible, mon père, friand de mécanique, avait entrepris d’aller voir comment des « professionnels » travaillaient. Cela l’amena, petit à petit, à pénétrer dans le garage pour surprendre l’entretien des véhicules… Au départ caché, il se fit vite découvrir… Chassé, il revenait… alors, face à son obstination on le laissa tranquille et il se mit alors à trainer dans les pattes des mécaniciens qui, ravis, lui ont donné ses premières réelles notions de mécanique. C’est ainsi qu’il sut, par la suite, réparer les moteurs des voitures avec des morceaux de chiffon, etc.

 

Parce qu’il n’était plus chassé du garage et parce que sa mère craignait trop le soldat allemand, mon père en profita pour aller s’y réfugier quand sa mère voulait lui faire faire certaines choses (comme la toilette) ou quand, désobéissant, sa mère tentait de l’attraper pour le punir. Dans ces cas-là, mon père savait que s’il atteignait le garage, il était sauvé… Evidemment, cela ne passa nullement inaperçu du côté allemand et un jour… « dis voir, pourquoi ta maman court derrière toi pour t’attraper ? », « parce qu’elle veut que je fasse mes devoirs et que je ne le veux pas » répondit mon père en croyant que le soldat n’allait rien faire… mais mon père fit erreur car ce soldat, dans le civil, était instituteur qui, le lendemain, l’attendait avec des cahiers et des livres pour lui faire faire ses devoirs… et depuis ce jour-là, quand il allait dans le garage, il devait au préalable réciter ses leçons, et suivre des cours d’allemand… et quand l’instituteur estimait qu’il avait bien travaillé, il avait le droit de rejoindre les mécaniciens… et si l’instituteur était absent, mon père n’avait pas le droit d’aller vers les mécaniciens…

 

Un jour, alors que mon père sortait de l’école, il vit accroupi à proximité d’une voiture, un plus grand (qui devait avoir entre 15 et 17 ans) dégonflant un des pneus. Mon père s’accroupissant à côté de lui, lui demande ce qu’il faisait et l’autre lui répond : « de la résistance ! c’est comme ça qu’il faut faire ». Alors mon père décida de suivre cet exemple et tenta de rentrer dans le garage sans se faire remarquer (tentative infructueuse comme il l’apprit plus tard), il se faufila vers une des voitures et entreprit de dégonfler un des pneus… un des allemands, qui l’avait vu entrer, étonné de ne pas le voir encore trainer parmi eux, entreprit d’aller voir ce que faisait mon père caché dans son coin et, le voyant accroupi entrain de dégonfler un pneu, se mit à faire du bruit pour que mon père l’entende. Mon père dirigea son regard vers lui et vit des bottes, puis levant les yeux en continuant le dégonflage arriva jusqu’au visage du sous-officier allemand qui se mit alors à le traiter de saboteur en criant si fort que mon père prit ses jambes à son cou et disparut plus rapidement qu’il n’était arrivé… suite à cet épisode il n’osa plus aller dans le garage pendant quelques jours…

 

Pendant les vacances, les garçons du quartier avaient l’habitude de transformer la rue en terrain de foot. Et parfois, le ballon n’allait pas là où le lanceur l’avait voulu…

Un jour où il faisait soleil, le boucher d’à côté avait installé son ban pour protéger du soleil le peu de marchandises qu’il avait entreposées dans sa vitrine. Le ballon rebondissant sur son ban et accédant à son toit, le boucher s’énervait peu à peu contre cette bande de garnements qui mériteraient que leurs pères fussent présents pour recevoir une taloche…

Evidemment, comme il montrait de plus en plus de signe d’énervement, les gamins hésitaient de plus en plus à aller réclamer le passage pour récupérer leur ballon…

Alors mon père regarda la sentinelle du garage et certains de ses copains lui demanda d’aller vers elle pour lui expliquer la difficulté grandissante pour récupérer leur ballon. Poussé par sa bande de copains, mon père décida de demander son assistance pour récupérer une nouvelle fois le ballon que, cette fois-ci, le boucher avait décidé de confisquer en leur interdisant le passage pour aller le récupérer…

La sentinelle, ne pouvant se déplacer, appela certains de ses collègues dont un escalada et alla prendre le ballon sans en demander l’autorisation préalable au boucher qui sortit de son magasin et, croyant que l’auteur de cette intrusion était un des gamins, s’était mis à hurler et lancé des menaces contre l’intrus… Quand le boucher s’aperçut qu’il s’adressait à un soldat allemand son ton changea d’un coup et ce fut au tour du soldat de l’engueuler en le menaçant… suite à cette mésaventure, le boucher n’osa plus empêcher les mômes quand ils venaient récupérer leur ballon…

 

Souvent il arrivait aussi que des soldats s’invitent dans leur match de foot et comme ils étaient plus grands, l’équipe dans laquelle ils s’intégraient, était certaine de gagner, même si les Allemands se partageaient entre les 2 équipes…

 

Tout changea à partir du 6 juin 1944… Les Allemands n’eurent plus le temps de jouer et montrèrent des signes de fatigue et d’énervement. Il n’était plus question que mon père aille dans le garage, à chaque tentative, il était viré…

La vieille du départ des troupes allemandes de Troyes, l’instituteur et d’autres soldats donnèrent leurs adresses à mon père avant de faire leurs adieux aux gosses du quartier avec un match de foot, le dernier… Quelques heures après, des bruits de véhicules indiquèrent à mon père qu’ils partaient. Les premiers bruits de mitraille ne vinrent que beaucoup plus tard, plusieurs heures après que l’armée allemande eut déjà quitté la ville. Ce qui intrigua mon père qui voulut comprendre pourquoi on tirait sur « rien »… mais là, on arrive sur un autre sujet, pas brillant du tout : l’épuration.

 

Parce que dans la même période je demandais aussi à ma mère de me parler de son enfance et de l’Occupation, et qu’elle me parlait des difficultés pour trouver de la nourriture. Un soir, j’avais demandé à mon père ce qu’il se souvenait des différentes privations et du rationnement.

Mon père ne se souvenait pas de tout ce qui a trait au rationnement mais se souvenait que parfois, il profitait des rillettes et du pain des allemands, qu’un jour il avait tenté de goûter au Schnaps qui, avant que le goulot n’arrive à sa bouche, lui a été retiré des mains avec force avec un « streng verboten » à faire crever les tympans…

Il se souvenait qu’il était très facile de se faire inviter à manger par les soldats, il suffisait d’être là quand ils mangeaient et de leur signaler qu’on en voulait aussi… et là, ils lui tendaient une grande et grosse tranche de pain sur laquelle il y mettait ce qu’il voulait.

 

J’ai voulu aussi qu’il me parle des Juifs.

Il m’a raconté alors l’histoire du garçon qui était dans sa classe et avec lequel il aimait jouer pendant la récréation. Un jour mon père l’a vu avec une étoile jaune et lui demanda pourquoi il portait ça. Le petit juif lui répondit que c’était la loi et ils reprirent leur jeu… un jour, il ne vint plus à l’école, mon père tenta d’aller le voir chez lui mais on lui répondit qu’il n’habitait plus là et qu’il fallait qu’il l’oublie… Lui et sa famille ne revinrent jamais à Troyes… avait-il réussi à survivre et était-il parti habiter ailleurs ou était-il mort dans un camp ? mon père ne l’a jamais su.

 

Bisous,

@+

Sab

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